Remettre l’Eglise au milieu du village

Von Saâd Dhif

Depuis la fin de l’année dernière, nous assistons dans notre paysage médiatique à un cumul d’articles, d’interventions, et de publications sur l’islam et les musulmans suisses qui méritent d’être relevés. La malheureuse succession des attentats terroristes qui ont eu lieu dans nos pays voisins, au Tessin, ainsi que la campagne en faveur de l’interdiction de la burqa dans notre pays ont définitivement joué un rôle prépondérant à cette évolution. Cette constatation ne se veut pas uniquement quantitative, mais surtout qualitative. 

En plein milieu de la crise que traverse encore notre pays, force est de constater que nous assistons depuis quelques mois et années à une certaine normalisation d’un discours paternaliste et condescendant à l’égard de l’Islam et des musulmans suisses. Ce développement est d’ailleurs plus marqué en outre-Sarine qu’en Suisse romande. Différentes voix s’autoproclamant spécialistes de l’Islam et des musulmans saisissent n’importe quelle occasion leur permettant de répandre un discours de suspicion envers ces derniers. Même certains médias publics ou privés n’hésitent pas à adopter une posture et un traitement de l’information parfois très discutable, voire étrange.

Marchands de sable 

Malgré l’hétérogénéité de ces voix qui œuvrent, chacune, pour ses propres intérêts, un trait d’union les unit. Avec un peu de recul, il est aisé de relever le fait que nous n’avons cessé d’assister à la propagation d’un imaginaire collectif sur l’islam et les musulmans de Suisse. Entre phantasmes et total décalage avec la réalité du terrain, des idées, des discours et des discussions de salons feutrés n’ont cessé de diffuser une idée et une image archaïque des musulmans.

Le plus surprenant, ce n’est pas seulement le message véhiculé, mais la flagrante méconnaissance du terrain qui ressort dans les débats télévisés, articles et interviews. Des pseudos spécialistes de tous bords obtiennent ou se donnent la parole afin de répandre des idées sans liens aucuns avec la réalité, créant ainsi une dichotomie entre notre société plurielle et leur pensée monolithique. Mise à part le fait d’avoir certainement exacerbé le sentiment de méfiance envers l’Islam et les musulmans de Suisse, ce discours “mainstream” a également pu être révélateur d’une réelle méconnaissance et d’un opportunisme certain de ces acteurs envers ces premiers. Les différentes polémiques et les discussions n’ont cessé, jusqu’aujourd’hui, de se focaliser sur des épiphénomènes, ignorant ainsi de manière quasi totale le fait que 47.7% des musulmans de Suisse ont entre 25 et 44 ans (islamandsociety.ch, UNIFR) et qu’ils sont Suisses ; ce sont eux qui vont façonner l’avenir de l’islam dans notre pays.

Pour une meilleure Suisse : plus de Suisse

Cette voie que nous empruntons depuis quelques années n’est pas sans dangers. Inscrire des restrictions visant une religion en particulier dans notre Constitution sont des pas supplémentaires vers la création d’une société à deux vitesses où, à terme, les musulmans deviendraient des citoyens de seconde zone. En ce sens, la voie d’Egerkingen est la voie de la ségrégation. 

Il est plus que jamais nécessaire de remettre l’Église au milieu du village. La Suisse telle que nous la connaissons est et a toujours été l’expression même d’une idée, d’une volonté commune, celle de la Communauté de Destin (Willensnation). Certains veulent perpétuer cet esprit, d’autres le détruire au profit d’une pensée unique. Même si cela n’a jamais été un exercice aisé, c’est justement dans la diversité des langues et des religions que la Suisse est née et a grandi. 

L’autre aspect souvent occulté, mais qui matérialise le succès et la stabilité de notre pays est celui de la société de milice. Beaucoup d’encre a coulé au sujet de l’extrémisme de certains jeunes musulmans et musulmanes, mais encore une fois, certaines œillères n’ont pas permis à certains de voir grand, de voir large. A titre personnel, au risque même de surprendre, mon engagement citoyen et social ne tire pas son inspiration des associations musulmanes et des mosquées, mais du milieu associatif sportif suisse. 

L’autre avantage certain de notre Suisse (et autre source d’inspiration personnelle) c’est son Armée de milice. Ciment de notre pays, la Suisse inclut ses jeunes citoyens très tôt dans son appareil sécuritaire. Le fait que la Suisse jouit – en comparaison avec ses pays voisins – d’une certaine stabilité au niveau de sa sécurité intérieure, n’est pas du tout le fruit du hasard. L’Armée est l’expression-même de cette Communauté de Destin – au sein de laquelle les Suisses de confession musulmane servent fièrement. Loin du spectacle médiatique, c’est sous la devise fédérale “Unus pro omnibus, omnes pro uno” (“Un pour tous, tous pour un“) qu’ils apportent leur contribution pour la sécurité de notre pays.

Vous l’aurez donc compris, c’est en restant fidèle aux principes fondateurs de notre Etat fédéral que nous pourrons (re)trouver la voie de ceux qui ont posé les jalons de notre Suisse. Aujourd’hui, force est de constater qu’il y a, en tant que société, un réel effort à effectuer pour mieux se connaître. Notre société civile suisse vit à travers ses associations sportives, culturelles, sociétés militaires ou partis politiques. Ce sont ces éléments qui créent le tissu social, le vrai, que nous nous devons d’enrichir et de perpétuer. La Communauté de Destin n’est pas un acquis, c’est un effort commun et continu, une volonté de faire perdurer cette Willensnation qui a décidé, par elle-même, de s’unir malgré ses différences.